La multiplication des crises (sanitaires, économiques, conflits) depuis maintenant plus de deux ans bouleverse non seulement l'environnement de consommation (hausse des prix, pénurie de certains produits, appel à la sobriété, etc.), mais modifie aussi en profondeur les habitudes des consommateurs français. Pour décrypter les enjeux, il faut un référentiel : les sociostyles du Conso'battant se révèlent particulièrement utiles. Nous poursuivons la présentation de "qui ils sont" par le portrait des Vigiles, après vous avoir présenté celui des Minimalistes et des Récessionnistes.
Le dernier Baromètre 2022 de Promise Consulting | Panel On The Web sur les tendances de consommation montre que les Vigiles sont de plus en plus nombreux : ils sont désormais 19% de la population soit +4 points par rapport à notre vague précédente. Donnons-en ici une courte définition pour bien comprendre de qui nous parlons ici : "Le Vigile est avant tout un acheteur précautionneux. Il passe du temps à chercher la meilleure offre, à négocier, à comparer entre le neuf et l'occasion, la grande marque ou le meilleur prix, l'achat en magasin ou en ligne. Il prend son temps, quitte à différer son achat pour être certain de trouver la meilleure affaire".
Il est vrai qu'un tel comportement est aujourd'hui largement encouragé par les mots d'ordre du gouvernement, relayés par les tendances écologistes de l'opinion publique : l'heure est à la sobriété énergétique, à l'achat utile, à la consommation raisonnée sinon raisonnable. Le Vigile trouve donc autour de lui un degré d'acceptation sociale élevé d'un comportement pourtant regardé hier encore comme une forme d'avarice, de procrastination injustifiées. Car le risque pour la consommation, et partant la croissance économique, est bien là : celui de différer ses achats au point d'y renoncer parfois.
"Procrastiner se dit d'une tendance à remettre systématiquement au lendemain ses actions. Dans le champ du marketing, le procrastinateur remettra ainsi à plus tard l'achat envisagé pour des raisons multiples qui tiennent pour partie à l'anxiété ou à la faible estime de soi. Or la procrastination généralisée est une explication du report d'achat, et contribue au ralentissement des économies marchandes. La montée en puissance des crises ces dernières années a contribué à un climat anxiogène, terreau fertile de la procrastination"
(Le Marketing de la Grenouille, éditions Kawa, Philippe Jourdan et alii).
A ce climat anxiogène, peu propice aux dépenses "irréfléchies" se greffe chez les Français le sentiment persistant d'une perte de pouvoir d'achat et d'une fragilisation financière des foyers, même si les statistiques officielles semblent le démentir ou le minimiser. Le désir de consommer - ce que nous appelons le "vouloir d'achat" s'est lui maintenu et suscite dès lors une frustration importante. L'autolimitation de la consommation dans certains postes de dépenses est une réponse à cette frustration croissante.
Comment dès lors lutter efficacement contre la procrastination, même si le sujet n'est pas forcément d'actualité dans un contexte de "sobriété" subie ? Rappelons en préambule que la lutte contre la procrastination ne se limite pas au seul domaine de la consommation, mais touche aussi au domaine professionnel ou à celui de la vie familiale ou sociale. On ne compte plus le nombre de sites Internet ou de blogs, amateurs ou professionnels, qui vous proposent de "retrouver le courage, l'envie de faire des choix qui vous permettront de vivre une vie épanouie ou sereine". En marketing, nous nous intéressons avant tout au processus d'achat. Or comme Comme le rappelle fort justement le Pr. Denis Darpy, « d’un point de vue temporel, le processus de décision est une succession d’avancées et d’attentes. A chaque étape du processus de décision, il y a la possibilité de temporiser. Le processus est ainsi soumis à une succession de séquences d’accélération et de décélération ».
Il s’ensuit que la procrastination, ou le report conscient d’un achat planifié, entre en ligne de compte dans la plupart des décisions de report d’achats, ce qui remet en cause le postulat d’une relation sans modérateur entre l’intention et le comportement d’achat. Certes d’autres variables que cette prédisposition psychologique sont susceptibles d’expliquer le délai plus ou moins long, entre l’intention d’achat et le passage à l’acte : les unes se réfèrent au contexte (économique, environnement social, situation personnelle du consommateur, etc.), les autres au profil sociodémographique de l’individu (en particulier l’appartenance à une classe sociale) et, enfin, les dernières ont trait au comportement ou à la personnalité propres de chacun (comme la propension à dépenser par exemple).
Les nombreuses causes (ou justifications) avancées par les procrastinateurs, sont regroupées par Denis Darpy en trois grandes familles qui forment autant de barrières ou d’obstacles à la réalisation de la tâche qu’il appartient à la marque ou à l’enseigne de lever :
- Le caractère déplaisant de la recherche (magasinage) et de l’achat (perte de temps, absence de plaisir, incertitude, insatisfaction, etc.) ;
- Les risques sociaux et psychologiques (risque financier, besoin incertain, obsolescence rapide du produit, peur de se tromper, de perdre la face, de déplaire, etc.) ;
- Le sentiment d’avoir besoin de l’aide d’une tierce personne pour se décider.
Autre enseignement intéressant : bien que le procrastinateur ne soit en général ni moins compétent, ni moins bien informé que le non procrastinateur s’agissant de la tâche à accomplir, il aura tendance à multiplier les obstacles qui sont autant de prétextes à différer l’achat : c’est précisément ce que l’on observe dans l’attitude du vigile qui estime « n’avoir jamais l’information nécessaire et suffisante pour se déterminer sereinement » et s’engage donc dans une démarche perfectionniste à l’excès ou tente de reporter sur autrui la responsabilité du choix final.
Philippe JOURDAN, associé fondateur Promise Consulting | Panel On The Web - La Rubrique du Consologue, Linkedin